À ma connaissance, peu de sujets sont aussi douloureux que la honte et la culpabilité ; souvent comme deux sœurs qui marchent ensemble, elles imprègnent et teintent nos expériences. Elles compriment la vie et nous rongent de l’intérieur. La culpabilité met en question nos actes, jugés mauvais. La honte, elle, va bien plus loin : ce sont non pas nos comportements qui sont en question, mais nous-même.
Aucune personne dans le spectre de la névrose n’échappe à l’un ou l’autre de ces sentiments ; mais certains d’entre nous en ont davantage et en souffrent plus.
Je ne prétends pas dans cet article exposer une étude exhaustive sur ces sujets, mais vous livrer certaines connaissances sages et compréhensions que l’on m’a transmises. Et je vais aujourd’hui privilégier le décorticage de la culpabilité dans son lien avec le traumatisme.
La vision psychologique
Tout d’abord, pourquoi le sentiment de culpabilité est-il si douloureux ?
Au niveau psychologique, développemental, nous souffrons car nous pensons avoir fait quelque chose de mal et nous craignons une punition. L’enjeu de fond est considérable : allons-nous perdre l’amour ? Ceci est la menace reçue de façon plus ou moins explicite par les enfants de nombreuses sociétés humaines. Pour eux, dont tous les besoins vitaux dépendent des adultes, perdre l’amour signifie perdre le lien, et donc mourir. L’on peut voir là la « création » du sentiment de culpabilité par une autorité extérieure, afin d’obtenir un comportement souhaité.
La vision de l’Être
À un autre niveau, celui de l’Être, l’histoire se raconte d’une façon très différente. Sur ce plan-là, nous ne souffrons pas car nous aurions « mal agi » selon une autorité extérieure, mais parce que nous aurions agi d’une façon qui n’est pas en accord avec « nous ». Nous souffrons dans notre cœur lorsque nous pensons que nous avons causé de la souffrance à d’autres personnes. Alors nous nous sentons coupables.
Qui est ce « nous » ?
Une part de la question consiste d’abord à nous recentrer, à revenir à « nous » : qui sommes-nous ? Et une autre part consiste, à partir de là, à découvrir ce dont nous nous sentons véritablement coupables, car nos critères internes ne sont pas ceux dictés par l’extérieur. Se reconnecter à soi, processus puissant, évacue le drame insoluble de la culpabilité et le remplace par le sentiment clair et fort de notre responsabilité librement assumée.
Une voie secrète d’accomplissement
Avez-vous déjà ressenti et pensé que tout ce qui n’allait pas dans votre vie était « la faute des autres » ? Si c’est le cas, sachez que cette perception des choses est le lot des humains. C’est l’apparence que prend la vie : quelqu’un vous refuse ce que vous voulez, et vous êtes malheureux et furieux. Quelqu’un ne reconnait pas vos qualités et vous vous sentez en colère, inquiet, seul, et. Etc.
Eh bien il existe une autre façon, très surprenante, de regarder la vie :
Et si ce n’était pas ce que nous ont fait les autres qui était la cause de nos malheurs, mais ce que nous leur avons fait nous ? ...
Quelle drôle d’idée a priori !
Notre essence fondamentalement aimante
Revenons à la perspective de l’Être. Et si, pensant que nous avons causé de la souffrance nous estimions que nous ne méritons pas les cadeaux et les belles opportunités de la vie, et de ce fait, nous nous retenions de les saisir ? « Je ne mérite pas. », « Ce n’est pas pour moi. » Et si, par crainte de causer à nouveau de la souffrance, nous nous mettions en retrait du flot des relations et de la vie ?
Tout cela subtilement, sans en avoir une conscience claire ; le seul affleurement perceptible serait notre sentiment de culpabilité plus ou moins prononcé.
Ce n’est pas comme si quelqu’un, assis sur un nuage très haut au-dessus de nous, observait nos faits, pensées et gestes, et décrétait, sourcils froncés, que nous devons être punis. Manifestement quelqu’un d’autre s’en charge, qui n’est pas si éloigné de nous que ça… Et non pas pour nous punir, mais tout au contraire avec une intention fondamentale de justice, d’amour et de protection.
Introspecter, oui, mais…
Comment sortir de la boucle de la culpabilité, du rétrécissement de notre existence et de notre être ? Il existe une pratique qui consiste à s’asseoir et à se retourner vers son passé, proche ou lointain : l’introspection. Laissez se présenter à votre conscience avec sincérité et humilité, vos actions (ou absences d’actions) non cohérentes avec vos codes internes. Reconnaitre la vérité est un processus de purification. Reconnaître que nous avons causé de la souffrance et s’en sentir peiné en fait partie. Cette pratique sacrée permettra d’élever nos relations à un plus haut niveau d’expression.
Seulement, restons vigilant : introspecter, oui… mais introspecter en nous condamnant comme le feraient des juges, des moralistes est une double peine non requise et non souhaitable.
Les sages disent :
« Regarde tes actions, oui, regarde-les toujours, mais toujours avec amour pour toi. »
Cette tâche est délicate à réaliser. Être capable de s’ouvrir à ressentir la vraie peine d’avoir causé de la souffrance sans fuir cette expérience et sans sombrer dans le jugement et rejet de soi peut nécessiter un soutien. Soutien qui pourra être trouvé dans la présence inconditionnellement acceptante et soutenante d’un Clarificateur.
Apprendre à aimer vraiment
Pourquoi introspecter ?
Pour apprendre à aimer vraiment, à savoir apprendre à soupeser chacun de nos actes à l’aune de notre cœur.
Pour apprendre à discerner comment nous voulons nous comporter avec les autres et avec nous-même, d’une façon qui respecte nos valeurs internes.
Pour prendre la responsabilité de ce que nous avons causé et être en mesure de participer à la vie avec plus de conscience dans le futur. C’est un point de bascule, voyez-vous ; celui où nous tournons notre regard vers nous-même et où nous cessons de pointer un doigt accusateur vers les autres.
À l’origine de la culpabilité : nos états de victimes
Parfois le sentiment de culpabilité est faible, parfois modéré, et parfois il est très puissant. Dans ce dernier cas, cela ne signifie pas que vous êtes une « mauvaise personne ». Cela signifie que vous vous reprochez quelque chose avec intensité. Peut-être avez-vous agi contre vos critères internes en faisant une action lourde de conséquences ou bien en prenant une décision désastreuse. Peut-être aussi avez-vous agi en désaccord profond avec vous de très nombreuses « petites » fois et sur une longue période de temps.
Ce dernier cas de figure se produit par exemple chez des personnes ayant vécu des traumatismes répétés : elles se sont déconnectées d’elles-mêmes et donc de leurs codes. C’est ce qu’illustre le témoignage ci-dessous. Ces personnes vivent isolées sans le savoir, dans un monde à part, coupées également de la réalité et des autres. Elles ne savent pas comment prendre véritablement en compte autrui et ne pas faire passer leurs propres besoins en priorité. Les conséquences sur leurs relations sont considérables. Un tel positionnement, sans réel choix, engendre une lourde culpabilité et beaucoup de honte.
Le sentiment de culpabilité se produit également lorsque l’on entre en relation à partir d’idées figées, quelles qu’elles soient : « Les gens sont mauvais », « Je ne vaux rien », « La vie est une épreuve », etc. Ces idées figées influent sur nos actions et prennent la place du vrai soi qui aurait agi de tout autre façon. L’existence est perçue à travers un filtre, les relations sont indirectes et biaisées. L’absence de vérité à la base du lien tisse un monde faux et le sentiment de culpabilité ne peut que surgir lorsque nous ne sommes pas « nous ». Car nous voulons être vrais et nous voulons être alignés.
Nous voulons cela à un niveau essentiel, y compris si nous avons agi à partir d’états d’impuissance, d’incapacité de choix, victimes de traumas. Alors le chemin peut être long et complexe. Mais il sera absolument source de croissance personnelle, de richesses inouïes, d’avancées uniques sur le plan relationnel et d’ouverture à dimension spirituelle de la vie.
Voici le témoignage :
« En dépit de tout ce que j’avais pu entreprendre, comprendre, exprimer, une part de mon passé restait inexorablement douloureuse, une part qui continuait à me faire apparaître à mes yeux comme un monstre, sans rédemption possible, justifiant que je me jette, oubliée de tous, dans une décharge, ou quelque chose comme ça. L’ampleur de cette douleur était telle que je n’en trouvais pas les contours ni le fond, mon impuissance et mon désespoir étaient océaniques. Lorsque j’en parlais aux personnes les plus proches de moi ou les plus « habilitées », je réalisais bien que personne n’était en mesure comprendre les raisons d’une telle détresse. Ces raisons m’échappaient aussi.
Cette part de mon passé était ma relation à mon enfant, depuis sa conception jusqu’à ce jour. Cet enfant devenu adulte « réussissait » sa vie, et en apparence, correspondait à ce que j’avais probablement souhaité qu’il soit : un grand jeune homme, élégant, mesuré, exigeant, extrêmement responsable, respectueux, drôle, intelligent... (Il n’était pas que cela, bien sûr.) Si je contemplais sa vie ou ce qu’il m’en laissait savoir, je me sentais étrangère à ses succès, et coupable de ses « failles », de ce qui me semblait manquer à son accomplissement. Il suffisait que je lise un livre sur la grossesse, l’enfance, le rôle des parents, particulièrement celui de la mère, pour entrer dans des états de détresse. Je me repassais en boucle les pires souvenirs, ceux où j’avais manqué à tout ce que j’aurais voulu être pour lui. J’étais inconsolable.
J’avais désiré ce bébé pour me donner un futur, une place, un rôle, car, je ne me l’expliquais pas mais, prendre ma vie en mains comme les autres personnes autour de moi semblaient simplement le faire, était hors de ma portée. Centrée sur moi et mes besoins, je n’ai pas su accueillir cet enfant lorsqu’il était dans mon ventre, je n’ai pas pris soin de me nourrir et donc de le nourrir. Nous avons tous deux frôlé la catastrophe, lui en souffrance fœtale, moi absolument inconsciente des risques que je nous avais fait encourir et que la sage-femme m’a exposés après la naissance par césarienne. Lorsqu’il a été là, ce bébé m’a bouleversée et retournée d’amour. Mais je n’ai pas su m’ouvrir à lui, à sa présence et à ses besoins réels. Je me suis retrouvée à chercher encore comment faire pour qu’il « m’envahisse » le moins possible.
Ceci a continué toute son enfance dont je me suis rendue de plus en plus absente, en faisant le choix de développer une carrière professionnelle et de m’épanouir en dehors de ma famille. En cloisonnant mon rôle de mère et en le séparant du reste de ma vie « personnelle », j’ai exclu mon fils physiquement et énergétiquement, le maintenant à distance de moi.
Les années passant, j’avais une conscience aiguë de mes manquements, de mon incapacité à traduire mon amour en actions et à donner du temps à celui qui avait le plus de prix à mes yeux. Mon enfant était le cœur de mon cœur, mais c’était à tout autre chose que je consacrais mon énergie et mon temps. C’était un déchirement permanent. J’espérais follement et secrètement que l’âme de cet enfant comprenne ce que je vivais et me pardonne.
Durant toutes ces années et encore après que mon fils fut parti de la maison, je revenais sur ce sujet douloureux lors d’accompagnements thérapeutiques. Parfois je glissais dessus en ressentant puis en fuyant bien vite ce resserrement dans mon cœur, parfois, j’ai choisi de le prendre à bras le corps, avec la décision de me sortir de cette honte et de ces regrets.
Un jour est arrivé où, à force de revisiter ce sujet, j’ai fini par voir les boucles que mon esprit coupable faisait et qu’il pourrait encore faire ma vie entière. J’ai vu que je voulais me punir puisque j’avais échoué à respecter ce qui avait le plus de valeur à mes yeux : faire passer mon enfant avant mes besoins « égocentriques ».
J’ai alors pensé à mon fils : qu’avait-il vécu avec moi comme mère ? Que gardait-il de sa relation avec moi ? Comment me percevait-il aujourd’hui ? J’ai soudain compris que je n’allais pas lâcher cette culpabilité car étonnamment, elle avait un sens, une raison. Lesquels ? À quoi me servait-elle ? Je l’ai perçue alors comme un trait d’union en suspend, s’élançant ardemment de moi vers lui, en tentatives répétées... Un désir vital qu’il sache et comprenne… mais quoi ? Que j’avais été une mauvaise mère… ? Que je m’en sentais coupable… ?
Non, je voulais qu’il sache que j’étais profondément malheureuse de n’avoir jamais su, selon moi, lui montrer par mes actions qu’il était ce qui m’était le plus précieux au monde. Je voulais absolument qu’il sache ceci, qu’il avait été, était encore et pour toujours, l’être que j’aimais le plus sur cette terre, et que j’aurais voulu lui donner beaucoup, beaucoup plus, et mieux que ce que je n’avais été en mesure de faire.
Il me restait à le lui dire, et je l’ai fait.
Cette découverte et l’instant de reconnexion et d’amour vécu en lui parlant ont libéré un grand pan de notre relation. Mais une nouvelle étape m’attendait.
Peu à peu, certaines attaques contre moi-même sont revenues : le sentiment de honte, d’irréparable, d’indignité … Le chemin n’était pas fini.
Je ne voulais pas me faire croire que j’avais tout accompli parfaitement, je ne voulais même pas ne plus souffrir du tout en repensant à cette part de mon histoire. Je voulais trouver un rapport avec mon passé, qui soit basé sur le réel, dénué du drame qui déforme, amplifie et engloutit tout. »
La prise en compte de la réalité
L’étape qui suivit fut celle de la prise en compte de la réalité de la vie, qui obéit à des lois se trouvant hors du champ de notre responsabilité individuelle. Voici quelques informations que devraient connaître les personnes qui pensent qu’elles devraient être parfaites, qu’elles sont responsables de tout, et qui ont engrammé le besoin vital de tout contrôler :
- Les personnes marquées par les traumatismes adoptent des comportements qui blessent leur entourage et leurs enfants, c’est réel ; elles ne le font pas de façon volontaire, mais elles le font. Le Dr Gabor Maté, médecin, auteur et conférencier de renom, exprime ce fait simple, implacable, reconnaissant avec une humilité et une transparence infiniment touchantes que cela a été son cas. Poser des mots sur une réalité peut atténuer le drame du regret et de l’impuissance de ne pouvoir revenir en arrière et changer ce qui a été.
- Une autre évidence relevant du simple bon sens est que, dans la première partie de notre vie, du fait des croyances issues de notre éducation, de nos traumas, de notre grande inexpérience de la vie et des relations… nous commettons de nombreuses erreurs et nous occasionnons des dégâts. Mais la sagesse veut qu’avec le temps, du travail sur soi, de l’introspection, les leçons apprises et l’épaisseur croissante de notre expérience, nous changions, nous devenions capables, dans la deuxième part de notre vie, de nous comporter avec davantage de responsabilité et de prise en considération de nos vrais besoins et de ceux des autres.
Cette vision prend en compte le temps et l’évolution, notions qui échappent souvent à un esprit fragmenté qui perçoit la vie comme linéaire et figée pour toujours dans un point de catastrophe. Les comportements désastreux des jeunes années sont des conséquences des traumas non résolus, et non la marque d’une monstruosité délibérée… Un parent ne peut pas avoir été complètement parfait, évitant miraculeusement de faire subir à ses enfants l’impact de ses propres blessures et de ses conditionnements inconscients. S’il avait été en mesure de le faire, il l’aurait fait, qui en douterait...
- Autre élément précieux à connaître pour une personne très impactée par son passé : le trauma n’a pas commencé avec elle, il a commencé des générations avant elle. Elle se trouve sur une chaine transgénérationnelle où les blessures se transmettent de parents à enfants par des ramifications inconsciences et l’incapacité d’exercer un choix dans lequel l’autre existe.
Enrichi de ces connaissances, le choix crucial devient : en prenant la responsabilité de la souffrance que nous avons occasionnée chez les autres, choisir de nous aimer en incluant tout – c’est-à-dire en nous prenant sans condition.
Suite et fin (temporaire) du témoignage
« Grâce à la reconnaissance de ce qu’est la vie, sans que personne n’y puisse rien changer, un autre bloc de charge (la culpabilité inutile et la honte qui en découlait) s’est dissout. Un nouveau champ d’expression s’est ouvert à moi : la possibilité jusque-là inexistante de parler avec mon fils, non pas depuis une condition de victime qui cherchait son pardon ou une certaine validation dans ce qui s’était passé. Mais depuis l’acceptation de ma responsabilité : il n’y avait pas eu de faute, mais il y avait eu souffrance, et celle-ci était passée par moi, par mes actions, mes négligences et mon absence. Je pouvais en parler alors, puisque mon auto-jugement écrasant n’était plus aux commandes. Ce qui l’avait remplacé, c’était la compréhension, la simple compréhension, et l’acceptation de la vérité. Je sentais que je voulais valider mon fils, valider l’enfant qu’il avait été et la souffrance qui avait été la sienne. Donner existence à ce qui jusque-là avait été enfoui dans le no man’s land du tabou et de l’impossible à dire. »
Pour terminer
Être dans des relations vraies, communiquer avec vérité, être reçu et compris sont des besoins profonds et essentiels. Être reçu et entendu dans sa culpabilité est le besoin auquel les prêtres ont longtemps répondu (et encore aujourd’hui). Les cabinets de thérapie ont pris le relais. Pouvoir « dire » sans conséquences punitives les actions qui pèsent sur notre conscience est véritablement la chose qui libère. Car au fond, ce qui pèse le plus, c’est de cacher nos actes et de nous cacher au regard des autres ; une part de nous reste dans l’ombre, en retrait énergétique des relations et du flot de la vie.
La Clarification considère la culpabilité comme une étape à part entière du processus de résolution de problèmes, de l’amélioration des relations et du chemin de croissance des personnes. Ses processus sont puissants et respectueux.
Comme je l’écrivais plus haut, la prise de responsabilité est le point de bascule. Simplement, les humains ont une telle peur de leur culpabilité qu’ils se hérissent et préfèrent l’enfouir… et ils se mettent à refuser toute notion de responsabilité. C’est très dommageable. Une aide est requise. À partir du moment où vous l’aurez admis, vous vous rendrez compte que cette aide se trouve tout autour de vous, disponible, là pour vous.
Je vous souhaite un riche et beau chemin de libération, de ce tout ce qui vous entrave !
Sources :
Lisez les témoignages : https://cathy-pascal.com/temoignages/